La généalogie juive (Nicolas Grassler)

Par Nicolas Grassler

ngrassler@hotmail.com

  

Depuis le XIIIème siècle, des familles israélites aux origines diverses sont installées dans la Vallée de la Thur, particulièrement à Thann et Fellering, où des lieux de culte et des établissements scolaires ont été édifiés. Aujourd'hui largement minoritaire, la communauté a quitté les campagnes et s'est dispersée dans des villes plus importantes, notamment Mulhouse, qui accueille à nouveau les Juifs en ses murs depuis son rattachement à la France, en 1798 .

La recherche généalogique sur les familles israélites demeure ainsi complexe et les renseignements fiables ne sont disponibles que depuis les premiers recensements communautaires officiels organisés à partir de 1784. De plus, la généalogie juive constitue un travail particulier et les sources à exploiter sont peu nombreuses. Il existe, d'une part les sépultures, d'autre part les listes de noms patronymiques, selon les communes. Enfin, divers cercles et associations tentent aujourd'hui de rassembler tous les documents existants, dans l'intérêt des chercheurs.

  

Les cimetières

  

         A l'instar des cimetières chrétiens, les cimetières israélites de Haute-Alsace représentent une source d'informations pour tout généalogiste.

         Les tombes récentes comportent des épitaphes en français ou en allemand, et il 'nest donc pas indispensable de maîtriser l'hébreu. Toutefois, les pierres tombales antérieures à 1850 nécessitent une connaissance de l'alphabet hébraïque.

 

         Il convient tout d'abod de préciser que seuls les prénoms religieux des défunts apparaissent dans les épitaphes. En effet, chaque Juif porte, outre son prénom civil, un ou plusieurs prénoms hébraïques utilisés lors des évenements significatifs de sa vie religieuse (circoncision, majorité religieuse, mariage...). Le prénom du père ou de la mère sert de patronyme.

         Ainsi, on retrouvera par exemple sur la pierre tombale de Jacques Dreyfus le nom "Shmuel ben David" (Samuel, fils de David). De même, sur la tombe de Jeanne Brunschwig, on lira "Sarah bat Menachem" (Sarah, fille de Menachem). Cependant, si seule la mère du défunt était de religion israélite, on indiquera le prénom de celle-ci. Par exemple, "Rivka bat 'Hannah" (Rebecca, fille de 'Hanna).

 

         En outre, ces indications s'accompagnent bien souvent d'une éloge de la vie religieuse et sociale du défunt, et de bénédictions en hébreu; précisons également que les épitaphes sont toujours introduites par "P.N", qui correspond à "ci-gît - hier ist begraben".

         Enfin, les dates peuvent paraître complexes à déchiffrer, puisqu'elles tiennent compte du calendrier hébraïque, dont les mois et les jours sont les suivants:

 

Yom rishon (le "premier jour") = Dimanche

Yom sheni (le "deuxième") = Lundi

Yom shlishi (le "troisième") = Mardi

Yom revi'i (le "quatrième") = Mercredi

Yom 'hamishi (le "cinquième") = Jeudi

Yom shishi (le "sixième") = Vendredi

Shabbat (le "jour du repos") = Samedi (aucun mariage ou enterrement ne peut être célébré un tel jour)

 

       Les mois sont les suivants:

 

Nissan - Iyar - Tamouz - Av - Eloul - Tishri (septembre/octobre, correspondant à la période du Nouvel an israélite) - 'Heshvan - Kislev - Tevet - Shevat - Adar (deux mois d'Adar selon les années).

 

 

Les familles bénéficiant de pierres tombales (Matsévot) particulières

  

 

         Les Cohanim, c'est à dire les descendants des Prêtres du Temple, dans l'Ancien Testament, et les Leviim, les "serviteurs", ont un statut particulier et privilégié dans la vie religieuse juive. Leurs tombes sont reconnaissables car elles possèdent des signes distinctifs:

 

         Ainsi, les Cohanim, portant en Alsace les patronymes Kahn, Cahn, Cohn, Kohn ou encore Katz ("Cohen Tsedek" = le Prêtre juste) sont identifiables aux deux mains bénissantes gravées qui ornent leurs tombes (segnende Hände), dont le pouce et l'index sont écartés.

         De même, les tombes des Cohanim sont normalement situées à l'écart, sur les côtés des cimetières, car dans le Judaïsme il est interdit à un Cohen d'être en contact avec des morts, et ce pour des raisons de pureté rituelle.

 

         Les Leviim (d'où les patronymes Lévy et Leva), ont pour signe distinctif la cruche (Levitenkanne), symbolisant la fonction de "serviteur" du Temple. Les Leviim, ou Lévites avaient notamment à la charge le nettoyage du Temple.

  

Les prénoms et patronymes

  

Avant 1808

 

En Haute-Alsace, nombre de familles juives choisissent pour leurs nouveaux nés des prénoms de l'Ancien Testament, et des prénoms typiquement judéo-alsaciens, qui sont parfois des traductions de l'hébreu. Par exemple, le prénom hébraïque Tsvi (cerf), existe en Alsace sous la forme "Hirsch", de même pour Dov, qui devient Baer (l'ours).

         Chez les femmes, il s'agit en général de diminutifs, ou de prénoms hébraïques fortement germanisés.

 

Voici, ci-dessous, quelques exemples de prénoms judéo-alsaciens:

 

Masculins                                                                                Féminins

 

Itzig = Isaac                                                                           Kentele = Catherine

Boruch = Benoît                                                              Feyele = Violette

Fromel = Abraham                                                          Sore = Sarah

Yudel = Judas                                                                          GütleBlümle...

 

       A partir de 1808, année au cours de laquelle les Israélites d'Alsace ont été forcés d'adopter un patronyme fixe, les usages concernant les prénoms ont également changé. On attribue désormais des prénoms français aux enfants (Jacques, Rosalie, Armand...)

         Quant aux patronymes, ils étaient fréquemment imposés lors de cette "Prise de noms patronymiques" qui avait lieu dans les mairies. Ces noms avaient un rapport avec des éléments naturels, des parties du corps, des professions, ou encore renseignaient sur l'origine de la famille. Seuls les Lévy et Kahn/Kohn pouvaient conserver leur patronyme, déjà fixe

 

Exemples : Blum (la fleur), Dreyfus (trois pieds), Schwartz, Roth, Braun (noir, rouge, brun), Spira (de Speyer, Allemagne), Brunschwig (de Braunschweig, Allemagne), MannheimerBodenheimerKoblenzer...

 

         Le patronyme Bloch, très courant dans la Vallée de la Thur et en Haute-Alsace, tout comme Wallach, est une déformation présumée du terme germanique "walsch", qui désigne aussi bien le Français dit "de l'intérieur" que toute personne de langue romane.

         On observe dans nos régions des patronymes similaires, mais orthographiés différemment, qui indiquent parfois l'appartenance à un culte. Ainsi, de nombreux Wolff sont de religion israélite, alors que les Wolf sont généralement chrétiens. Toutefois, se baser sur de telles considérations serait totalement arbitraire.

 

         Enfin, dès 1851, des familles juives polonaises, bavaroises et suisses s'installent dans le Vallée de la Thur, et l'on retrouve dans les recensements communautaires de Hitzewitsch et des Polidansky. En outre, les Lion (de Thann) déclarent également être originaires de Pologne lors du recensement de 1851, et les Moosbacher de Bavière.

  

Les professions et fonctions religieuses

  

         Dans les campagnes haut-rhinoises, notamment dans les zones à vocation agricoles, les Juifs ont exercé les mêmes professions durant de nombreuses décénnies; ce sont souvent des métiers ambulants, ce qui explique leur mobilité et le nombre important de mariages "hors commune".

         Voici quelques unes des professions les plus fréquentes:

 

Bheymes-Händler (de l'hébreu behemot, les animaux) = marchands de bestiaux

Pfühändler (de l'hébreu tevouah, la récolte = marchands de grains

Katzeff = boucher

Marchand de tissus...

 

En 1851, les Israélites de la Vallée de la Thur déclarent exercer les métiers de mercier, instituteur, colporteur, colporteur en étoffes, marchand de fer, graveur sur rouleaux, maquignon, marchand d'étoffes, militaire, marchand de cuir, boucher, revendeur, fripier, marchand de nouveautés, marchand de draps, marchand de bestiaux, négociant, cultivateur, serrurier, clerc d'huisser, chiffonier, commissionnaire et domestique.

 

         Les fonctions religieuses permanentes sont les suivantes: Parness (président de la communauté), Schamess (bedeau), 'Hazen (chantre, ministre-officiant) et bien évidemment RebRewwe (rabbin).

  

 

Principales sources de renseignement à exploiter pour débuter ses recherches

   

- Recensements principaux (1784, 1851)

Déclaration de prise de noms patronymiques

 

Ces documents sont disponibles au Cercle de généalogie juive 14, rue Saint-Lazare, 75009 PARIS (01 40 23 04 90)

 

Archives départementales du Haut-Rhin. Cité administrative - Bât. L et M. 3, rue Fleischhauer, 68026 COLMAR (03 89 21 97 00)

 

Les archives permettent de consulter des Ketoubot, contrats de mariage traditionnellement rédigés en araméen et contenant des informations sur le couple et les deux familles. Des chroniques familiales, comme l'histoire des Schombourg de Thann sont parfois dispensables également.

 

Ta'hanot, registres des anciennes communautés juives d'Alsace, rédigés en hébreu ou en yiddish occidental et nécessitant une bonne maîtrise de la cursive hébraïque.

 

- Cimetières israélites : à Thann, le nouveau cimetière se trouve route d'Aspach. L'ancien, désormais à l'abandon, est situé rue Humberger, en face du Centre Hospitalier.

  

 

Afin de faciliter le travail de chacun, voici un index chronologique établi à partir des  recherches effectuées aux Archives municipales de la Ville de Thann. (A partir de 1915, section « Archives modernes », série P III, boîte n°337)

 

 

XIIIème siècle : Premiers témoignages attestant d’une présence israélite à Thann

 

1309 : Antisémitisme virulent. Des bûchers sont organisés à Thann et Roderen.

 

1473 : On recense trois familles juives dans l’enceinte de la ville.

 

1648 : Fin de la guerre de Trente Ans

 

1784 : Recensement général des Juifs d’Alsace. Pour la seule commune de Thann, on dénombre 7 familles, soit 35 personnes (liste disponible).

 

1817-1818 : Edification du premier lieu de culte, à partir d’une grange désaffectée.

 

1831 : Louis-Philippe accorde l’égalité du culte israélite avec les cultes chrétiens ; les Rabbins et ministres officiants percevront désormais un traitement. On procède à un découpage administratif du Judaïsme ! Thann devient un arrondissement en 1870 et comprend quatre cantons.

 

1850 : Moins de cinq cent Juifs vivent à Thann

 

1855 : Aménagement d’un oratoire dans une dépendance de la demeure Schick, à Fellering.

 

1858-1859 : Samuel Dreyfus est nommé Rabbin de Thann et succède à Isaac Gradwohl. La communauté, jusqu’alors dépendante de Soultz, possède désormais son propre rabbinat.

 

22 octobre 1859 : Décision de démolir la grange-synagogue

 

1862 : Edification d’une vraie synagogue en pierre, de style néo-byzantin. La communauté a du acquérir les bâtiments de l’ancienne prison de la ville.

 

1870 : La communauté de Fellering s’agrandit et l’école du village accueille le Talmud Torah dans ses locaux.

 

1873 : Le Rabbin Salomon Moock est choisi pour succéder à Samuel Dreyfus.

 

1874 : Deux écoles israélites accueillent les enfants à Thann (Ecole de Filles et Ecole de Garçons). En 1874, l’institutrice des filles quitte son poste, elle sera remplacée par le Rabbin Wurmser.

Garçons et filles bénéficiaient de deux heures d’enseignement religieux par semaines. Fin 1874, le Rabbin Wurmser assure huit heures de cours pour quarante élèves.

 

1882 : Wurmser demande à être reconnu comme Aumônier des Ecoles israélites.

 

1885 : Apogée du Judaïsme dans la Vallée de la Thur. Plus de 630 pratiquants sont recensés pour la seule ville de Thann.

 

1914 : Destruction quasi totale de la synagogue, à la suite de bombardements.

 

1915 : Le Rabbin B. Meyer est domicilié à Fellering, il enseigne à 11 élèves.

 

1919 : B.Meyer enseigne également le Talmud Torah à Thann. La Ville le rémunère et lui attribue un logement.

 

1922 : Mr Reibel, Ministre des Régions libérées, entreprend les démarches nécessaires à restaurer l’édifice, qui sera inauguré en 1924.

 

1923 : Les communes suivantes rémunèrent le Rabbin Meyer pour son enseignement :

 

Cernay – Soppe-le-Bas – Fellering – Oderen – Urbès – Masevaux – Husseren-Wesserling – Saint-Amarin – Bitschwiller – Thann – Vieux-Thann  .

 

1925 : Création d’un poste de Ministre-officiant, « rétribué sur les fonds de l’Etat », en compensation d’un poste supprimé à Réguisheim.

 

Juillet 1929 : A la suite des « Journées nationales », le Maréchal Pétain remercie la Communauté Israélite de Thann « pour l’achèvement des quatre grands mouvements du front ».

 

1931 : Recensement des Israélites dans les villages avoisinant Thann (listings disponibles).

 

1934 : Dans un courrier daté du 14 août 1934, Mr Lucien Dreyfus, Président de la C.I. de Thann, remercie Mr le Maire de Thann pour son avis favorable concernant le maintien d’un rabbinat dans sa ville.

 

1935 : D’après son Président, la C.I.T. comptait 25 hommes, 32 femmes et 22 enfants.

 

1940-1944 : Synagogue saccagée et transformée en local du Winterhilfswerk (service d’aide aux démunis mis en place par les Nazis).

 

1948 : Restitution de l’édifice à la communauté (Rabbin Poliatchek).

 

1950-1960 : Déclin de la Communauté

 

1983 : Dernier mariage célébré à la synagogue de Thann.